Mobilité de la main-d’œuvre et ajustement du marché du travail dans l’UE

Point de départ et résultats antérieurs

Avec des données limitées sur la mobilité de la main-d’œuvre, l’approche standard dans la littérature consiste à suivre la méthodologie de Blanchard et Katz (1992). Blanchard et Katz (1992) s’écartent de l’observation selon laquelle les changements des niveaux relatifs d’emploi dans les États américains persistent au fil du temps, alors que les taux relatifs de chômage et d’activité sont des variables stationnaires (c.-à-d. les chocs sur ces variables disparaissent après un certain temps). L’idée principale est que si les chocs asymétriques ont un effet permanent sur l’emploi mais pas sur les taux de chômage et d’activité, l’évolution des niveaux d’emploi doit être absorbée par l’évolution de la population en âge de travailler. En supposant que les chocs de la demande de main-d’œuvre n’influencent pas les tendances démographiques, la réponse de la population relative doit refléter la réponse de la mobilité de la main-d’œuvre.

Blanchard et Katz (1992) constatent que, dans un État américain typique, un choc transitoire négatif de la demande de main-d’œuvre de 1 % augmente le taux de chômage de 0.32 points de pourcentage au-dessus de la moyenne nationale la première année et réduit le taux d’activité de 0,17 point de pourcentage. Les effets sur les taux de chômage et d’activité disparaissent après 5 à 7 ans ; ceux sur l’emploi relatif s’accumulent progressivement, atteignant un pic à -2% après 4 ans. Ce schéma implique un rôle important de la mobilité interétatique dans les premières années suivant le choc.

Une analyse ultérieure a appliqué le même cadre à d’autres zones géographiques. Le tableau 1 résume les résultats empiriques de ces études. Dans chaque ligne du tableau, il est indiqué dans quelle mesure le choc initial de la demande de main-d’œuvre est absorbé après 1 an par les variations du taux de chômage, du taux d’activité et de la mobilité de la main-d’œuvre, telles qu’estimées par les différentes études.

Tableau 1 Décomposition de la réponse des variables du marché du travail après 1 an à un choc asymétrique de la demande de travail

Decressin et Fatás (1995) appliquent le cadre de Blanchard-Katz pour étudier la mobilité régionale de la main-d’œuvre dans l’UE et comparer les résultats à ceux obtenus pour les États américains. Leur échantillon couvre la période 1975-1987 et comprend des régions pour la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et l’Espagne; la Belgique, le Danemark, l’Irlande, la Grèce, les Pays-Bas et le Portugal sont considérés comme des régions uniques. Ils constatent que l’ajustement du marché du travail dans l’UE se caractérise par une réponse modérée de la mobilité de la main-d’œuvre par rapport aux États-Unis, tandis que la réponse des taux d’activité semble plus forte. En Europe, il faut environ 4 ans pour que l’effet sur le taux d’activité et le taux de chômage disparaisse. Aux États-Unis, la mobilité nette entre États représente 52 % de la variation de l’emploi relatif au cours de la première année et 70 % au bout de 3 ans. En Europe, ce n’est qu’après la troisième année que la mobilité représente une proportion similaire à celle atteinte aux États-Unis après seulement 1 an.

Bentolila et Jimeno (1998) analysent la réponse de la région espagnole typique à un choc de la demande de main-d’œuvre et constatent que pour la période 1976-1994, le chômage représente une fraction significative de l’ajustement, représentant environ un tiers de la variation de l’emploi après 3 ans.

Dao et coll. (2014) réévaluent l’ajustement des États américains en étendant l’échantillon de Blanchard et Katz à 20 années supplémentaires. Par rapport à Blanchard et Katz, ils constatent que le rôle de la participation et du chômage a augmenté, tandis que la contribution de la mobilité interétatique a diminué. En appliquant la méthodologie aux régions européennes, ils constatent que la réponse à court terme de la mobilité de la main-d’œuvre s’est accrue au fil du temps.

Beyer et Smets (2015) reconsidèrent la comparaison entre les ajustements du marché du travail américain et européen effectués par Decressin et Fatás. En particulier, ils évaluent séparément l’ajustement aux chocs spécifiques à une région, aux chocs communs à effets asymétriques et aux chocs nationaux. Ils constatent qu’une différence significative entre l’UE et les États-Unis ne peut être trouvée que dans la réponse de la mobilité aux chocs communs aux effets asymétriques. En revanche, la réponse de la mobilité aux chocs spécifiques à une région joue un rôle relativement mineur tant pour l’UE que pour les États-Unis et semble diminuer avec le temps. Enfin, la mobilité inter-pays en réponse à des chocs spécifiques à un pays est moins importante que la mobilité interrégionale en réponse à des chocs spécifiques à une région.

La plupart des études sur l’UE se concentrent sur l’ajustement du marché du travail régional. Seuls quelques-uns se sont penchés sur le rôle de la mobilité de la main-d’œuvre dans la dynamique nationale du marché du travail. Dans une étude sur la zone euro couvrant la période 1970-2005, L’Angevin (2007b) constate que la mobilité interétatique joue un rôle mineur dans les pays de la zone euro et que, par rapport aux États-Unis, il faut plus de temps pour que le chômage et la participation reviennent à un équilibre à long terme après le choc.Note de bas de page 9 Cependant, en limitant l’échantillon à la période 1990-2005, le marché du travail de la zone euro réagit de la même manière que celui des États-Unis, avec une contribution plus importante de la mobilité de la main-d’œuvre à moyen terme.

Spécification du cadre VAR

La spécification empirique est motivée par un cadre théorique dans lequel les facteurs de production sont mobiles dans un certain nombre de pays (unités régionales). Chaque pays peut être pensé pour produire un paquet donné de produits. Cela rend possible des chocs économiques asymétriques, c’est-à-dire des changements de la demande extérieure qui affectent certains pays mais pas d’autres. La relation de la demande de main-d’œuvre dans le pays i et l’année t peut être exprimée comme suit

$$ { l} _ {i, t} = – d {n} _ {i, t} + {z} _ {i, t}, $$
(1)

où w i, t représente le taux de salaire, n i, t l’emploi et z i, t la demande de main-d’œuvre. Le coefficient d est positif reflétant une demande en pente négative pour les produits d’un pays.

Toutes les variables sont en logarithmes pour permettre une formulation linéaire simple. Plus important encore, toutes les variables sont exprimées par rapport à la moyenne (pondérée) des pays de l’échantillon. Cela élimine les tendances communes à tous les pays et permet de se concentrer sur les chocs asymétriques (plutôt que communs).

La demande relative de main-d’œuvre dépend des salaires relatifs et des caractéristiques propres au pays x d qui influent sur les décisions de localisation des entreprises et ne changent pas au fil du temps (c’est-à-dire sont une source de différences permanentes dans les niveaux d’emploi):

$$ { z} _ {i, t+1} – {z} _ {i, t} = -a {w} _ {i, t} + {x}_{di} +{\varepsilon}_ {i, t+1}^d, $$
(2)

où \({\varepsilon}_{i, t}^d\) est un choc de demande de main-d’œuvre spécifique à un pays. L’évolution de l’offre de main-d’œuvre est due à l’écart salarial relatif, aux conditions locales du marché du travail (le taux de chômage u) et à d’autres caractéristiques propres au pays x s qui influent sur les préférences des travailleurs en matière de localisation:

$$ { n} _ {i, t+1} ^s -{n} _ {i, t} ^s = b{w} _{i, t}-g{u}_{i, t} +{x} _{si} +{\varepsilon}_{i, t+1}^s, $$
(3)

où \({\varepsilon}_{i,t}^s\) est un choc d’offre de main-d’œuvre spécifique à un pays. La relation entre les salaires et le chômage est

$$ { {i, t} = – c {u} _ {i, t}. $$
(4)

Le modèle est fermé avec le chômage défini comme la différence entre l’offre de travail et la demande de travail:

$$ { u} _ {i, t} = {n} _ {i, t} ^s – {n}_ {i, t}. $$
(5)

À long terme, la croissance relative de l’emploi et le chômage relatif sont déterminés par les équations suivantes:

$$ \ varDelta {n}_i= \frac {ca{x}_{si} +\gauche(cb+g\droite) {x}_{di}} {ca+d\gauche(cb+g\droite)} $$
(6)

$$ { u}_i = -\frac {w_i}{c} = \frac {d{x} _{si} -{x}_{di}} {ca+d\gauche (cb+g\droite)} $$
(7)

La croissance de l’emploi est déterminée par des facteurs spécifiques au pays x di et x si. Dans les pays les plus attrayants pour les entreprises, l’afflux d’entreprises entraîne une hausse des salaires et une baisse du chômage, ce qui stimule l’arrivée de travailleurs qui permettent une croissance permanente de l’emploi. Dans les pays plus attractifs pour les particuliers, l’afflux de travailleurs fait baisser les salaires et augmenter le chômage. La mobilité de la main-d’œuvre et des entreprises garantit que les effets des chocs de la demande de main-d’œuvre sur les salaires relatifs, le chômage et les taux d’activité sont transitoires.

Étant donné que les variables sont exprimées par rapport à leurs homologues agrégés de l’UE, Eq. (3) peut être considéré comme caractérisant la mobilité des travailleurs sur la base des salaires relatifs et du chômage relatif.Note de bas de page 10 Si un pays est touché par un choc de demande asymétrique négatif, les salaires et l’emploi diminuent. Des salaires plus bas et un chômage plus élevé entraînent une émigration nette des travailleurs, ce qui atténue les effets du chômage et des salaires; les salaires plus bas attirent également les entreprises, soutenant la création d’emplois et les salaires. L’effet global dépend de l’élasticité de la demande relative de main-d’œuvre et de l’offre relative de main-d’œuvre.

Un modèle VAR peut être estimé pour étudier la réponse de l’emploi, du chômage et du taux d’activité à un choc asymétrique de la demande de travail, c’est-à-dire que toutes les variables sont exprimées en écarts par rapport aux moyennes respectives de l’UE. Le fait que les chocs asymétriques aient un effet permanent sur les niveaux d’emploi mais pas sur les taux de chômage et de participation a deux conséquences. Premièrement, le changement des niveaux d’emploi doit se faire par la mobilité de la main-d’œuvre. Deuxièmement, la VAR doit être estimée avec l’emploi relatif dans les premières différences et le taux d’emploi (défini dans cette méthodologie comme 1 − taux de chômage) et le taux d’activité en niveaux.

La VAR suivante peut ainsi être estimée:

$$ { v}_{it} = A +{A}_1(L) {v}_{it-1} +{f}_i+{\varepsilon}_t, $$
(8)

où v c’est le vecteur (Δn it, le it, lp it); Δn c’est la première différence du logarithme de l’emploi dans le pays i moins le logarithme de l’emploi global dans l’UE; le c’est le logarithme du taux d’emploi (1 − taux de chômage) dans le pays i moins le logarithme du taux d’emploi (1 − taux de chômage) dans l’UE; et lp c’est le logarithme du taux de participation dans le pays i moins le logarithme du taux de participation dans l’UE. Une hypothèse clé du cadre de Blanchard et Katz (1992) est que les innovations apportées à l’équation de la croissance de l’emploi sont des chocs exogènes de la demande de main-d’œuvre. Il s’agit d’une hypothèse raisonnable lorsque la corrélation entre les taux de chômage et la croissance de l’emploi est négative, alors que cette corrélation est positive si la croissance provient principalement de l’offre de main-d’œuvre. Une régression par panel du taux de chômage sur la croissance de l’emploi donne une pente significative de (-0,56), ce qui implique que l’hypothèse selon laquelle les innovations en faveur de la croissance de l’emploi représentent principalement des chocs de demande est valable également pour l’échantillon de l’UE.

L’hypothèse selon laquelle les innovations dans la croissance de l’emploi représentent des chocs de demande de main-d’œuvre est mise en œuvre par des chocs orthogonalisés (c’est-à-dire non corrélés). Comme la matrice variance-covariance des erreurs estimées ε t est peu susceptible d’être diagonale (c’est-à-dire que les erreurs de l’équation sont susceptibles d’être corrélées), les résidus des équations doivent être décomposés de manière à devenir orthogonaux. La décomposition de Cholesky représente la façon standard de le faire. En pratique, il consiste à ordonner les variables dans la VAR de sorte que les chocs sur les variables qui viennent plus tôt affectent simultanément les variables suivantes, tandis que ceux qui viennent après n’affectent les variables précédentes qu’avec un décalage. En particulier, on suppose que les chocs de la demande de main-d’œuvre affectent simultanément le taux de chômage et le taux d’activité, avec une rétroaction retardée sur la croissance de l’emploi. Cela implique que les variations de la croissance relative de l’emploi au cours de l’année reflètent les chocs de la demande de main-d’œuvre propres à chaque pays. On suppose que les effets de choc du côté de l’offre résultent de chocs non corrélés sur le taux d’emploi ou le taux d’activité.

Une autre hypothèse est que les caractéristiques propres à chaque pays créent des différences constantes entre les pays qui peuvent être modélisées comme des effets fixes. Étant donné que les effets fixes sont corrélés avec les régresseurs par l’intermédiaire des variables dépendantes décalées, les effets fixes sont éliminés exprimant les variables en tant qu’écart par rapport à leurs moyennes spécifiques au pays. Ainsi, un panneau VAR d’ordre 2 (i.e. deux décalages pour chaque variable) est estimée, les LCO regroupant les pays de l’UE après avoir rabaissé les variables pour supprimer les effets fixes par pays.

La disponibilité de données sur les salaires au niveau national permet d’explorer dans quelle mesure un choc de la demande de travail est absorbé par les variations des salaires réels relatifs. L’inclusion des salaires dans certaines spécifications permet une meilleure identification du choc de la demande de travail, où leur réponse devrait être positive, du choc de l’offre de travail, où leur réponse devrait être négative. Lors de l’identification des chocs, les salaires réels sont supposés réagir simultanément aux chocs de la demande de main-d’œuvre et affecter simultanément l’offre de main-d’œuvre par des modifications de l’emploi ou du taux d’activité.Note de bas de page 11

Enfin, notez que, comme c’est la pratique courante dans la littérature (p. ex. Blanchard et Katz, 1992; Obstfeld et Peri, 1998; Dao et coll. 2014), les flux migratoires nets sont déterminés par le lien arithmétique entre (l’évolution de) la population et (l’évolution de) l’emploi, le chômage et la population active. Si P est la population en âge de travailler, L est la population active et N est l’emploi, alors cette arithmétique peut être exprimée par P = N + (L−N) + (P−L) = N + (1−e) L + (1−p) P, où e est le taux d’emploi (défini ici comme 1 − taux de chômage) et p est le taux d’activité. Il en résulte que la relation entre les taux de croissance (variations en pourcentage) de ces variables (approximativement égale à la variation d’une variable dans les logs) est linéaire : dlog P = dlog N−dlog e−dlog p.

Il est plausible que les réponses de la population en âge de travailler aux chocs de la demande de travail soient motivées par la mobilité géographique, mais des arguments empiriques supplémentaires peuvent être trouvés. En effet, la corrélation entre la croissance de l’emploi et la série “taux brut de migration nette et d’ajustement statistique” est de 0,42 dans l’UE-15 pour la période 1980-2014 et de 0,54 pour la période postérieure à 1998. La corrélation reste élevée et significative même lorsque les séries sont réduites.

Ajustement du marché du travail: analyse descriptive

Avant d’explorer la contribution de la mobilité de la main-d’œuvre à l’ajustement du marché du travail, il est utile de passer en revue quelques faits stylisés sur la dynamique de l’emploi, du chômage et de la participation au marché du travail dans les pays de l’UE.

L’analyse est réalisée sur une base de données annuelle du panel qui comprend les 15 membres de l’UE avant l’élargissement pour la période 1970-2013. Les données proviennent de la base de données macroéconomique annuelle (AMECO) de la DG ECFIN de la Commission européenne. L’emploi et la rémunération par salarié sont tirés des comptes nationaux, le chômage et le taux d’activité de l’Enquête sur les forces de travail; la rémunération par salarié est dégonflée avec le déflateur du PIB.Note de bas de page 12

La figure 6 représente, pour tous les pays de l’échantillon, le taux de croissance du niveau d’emploi, du taux d’activité et du taux d’emploi (1 − taux de chômage), par rapport à la moyenne de l’UE, depuis le début des années 1970. Définir les variables comme des écarts par rapport à la moyenne de l’UE permet de mettre l’accent sur les chocs asymétriques. Les variations de la mobilité de la main-d’œuvre sont dérivées des variations de l’emploi qui ne peuvent être attribuées aux variations du chômage ou du taux d’activité (voir ci-dessus). Sur la Fig. 6, les changements de mobilité peuvent être mesurés en soustrayant à la fois les changements d’activité et de taux d’emploi de la croissance de l’emploi le long de l’axe vertical. L’inspection visuelle des données révèle une diversité d’un pays à l’autre, mais peu de faits stylisés ressortent.

Fig. 6
 figure6

Dynamique du marché du travail dans certains pays européens par rapport à la moyenne de l’UE (croissance cumulée depuis 1970). Remarque: Le graphique montre les taux de croissance des variables nationales par rapport aux taux de croissance de l’UE15. Pour se concentrer sur l’évolution du cycle économique, chaque variable relative est exprimée comme un écart par rapport à sa moyenne sur l’ensemble de la période. Source: Commission européenne, DG ECFIN Base de données AMECO

À l’appui de la validité méthodologique de l’approche de Blanchard-Katz, la croissance relative de l’emploi et les variations relatives de l’activité et des taux de chômage ont tendance à osciller autour de moyennes constantes.

Pour certains pays (par exemple l’Autriche, l’Allemagne et l’Irlande jusqu’à la crise), les évolutions nationales ne s’écartent que temporairement de la moyenne de l’UE, ce qui suggère l’importance des chocs communs.

Les récessions qui ont suivi les deux chocs pétroliers du début des années 1970 n’ont eu qu’un effet temporaire sur la croissance de l’emploi dans plusieurs pays. Cela contraste nettement avec les effets persistants des crises financières qui ont frappé la Suède et la Finlande au début des années 1990 ou avec les effets de la crise financière de 2008 en Grèce, au Portugal et en Espagne. Pour ces pays, les chocs sur la croissance de l’emploi ont eu des effets plus persistants sur le chômage, conformément aux données présentées par Calvo et al. (2012) que l’ajustement du marché du travail est lent, en particulier dans les récessions induites par des perturbations du canal du crédit.Note de bas de page 13

Les fluctuations de la croissance de l’emploi par rapport à la moyenne de l’UE sont compensées par des variations de l’activité ou du taux de chômage ou des deux. Par exemple, les fluctuations de la croissance de l’emploi se sont accompagnées de variations du chômage relatif en Allemagne, en Irlande, en Italie et en Finlande, tandis qu’aux Pays-Bas, en France et en Suède, la croissance relative de l’emploi évolue avec le taux d’activité relatif.

Comme indiqué ci-dessus, la différence entre la croissance de l’emploi et la somme de la variation en pourcentage de l’activité et des taux d’emploi doit être égale à la variation en pourcentage de la population en âge de travailler, qui reflète à son tour les flux de mobilité de la main-d’œuvre. Une tendance à une plus grande mobilité vers l’intérieur est visible en Espagne, en Irlande, au Luxembourg et aux Pays-Bas; une mobilité vers l’extérieur est observée en Finlande, au Portugal et en Suède. Un afflux soutenu de travailleurs a caractérisé l’augmentation de l’emploi en Espagne et en Irlande avant la crise de 2008. La crise n’a inversé que partiellement cette tendance, le choc négatif de la demande de main-d’œuvre ayant entraîné d’énormes destructions d’emplois et un déclin limité de la croissance de la population en âge de travailler. Cette tendance contraste avec celle de la Finlande après la récession du début des années 1990, où une forte augmentation du chômage s’est accompagnée d’une baisse persistante et sensible du taux d’activité.

L’étape suivante consiste à analyser dans quelle mesure la croissance de l’emploi, le chômage et les taux d’activité sont entraînés par des chocs communs ou asymétriques dans divers États membres. Cette analyse est résumée dans le tableau 2. Conformément à la pratique courante dans la littérature, les variations des variables au niveau des pays sont régressées sur l’évolution de l’agrégat EU-15. Les coefficients β indiquent dans quelle mesure la variation de l’agrégat de l’UE est transférée sur des variables nationales au cours de la même année, tandis que le R 2 mesure la force de la relation entre les variables nationales et agrégées. Quelques faits méritent d’être mentionnés.

Tableau 2 Perturbations communes du marché du travail: 1970-2013

En moyenne, 40 % des fluctuations de la croissance nationale de l’emploi s’expliquent par l’évolution de l’UE-15, ce qui est conforme aux conclusions de L’Angevin (2007a, b) sur la période 1973-2005. Cela suggère que les chocs communs dans l’UE sont plus pertinents au niveau national qu’au niveau régional, mais moins pertinents que dans le cas des États américains.Note de bas de page 14

La croissance de l’emploi est fortement corrélée à l’évolution au niveau de l’UE pour la majorité des pays; des chocs asymétriques semblent prévaloir en Autriche, au Danemark, en Grèce et au Luxembourg.

Les taux de chômage au niveau national sont généralement plus fortement corrélés à l’ensemble de l’UE que dans le cas de la croissance de l’emploi. Il en va de même pour les taux d’activité, à l’exception notable du Danemark, de la Finlande et de la Suède.

Ajustement aux chocs asymétriques de la demande de travail: preuves

Les résultats des estimations du modèle VAR sont résumés par les fonctions de réponse impulsionnelle correspondantes, montrant la réponse des variables à un choc positif de la demande de travail à un écart-type. Le résultat de régression de l’estimation de deux variantes de modèle (excluant et incluant les salaires) est présenté dans le fichier supplémentaire 2.

La figure 7 montre les réponses de l’emploi, du taux de chômage, du taux d’activité et de la migration à un choc positif de la demande de main-d’œuvre pour l’ensemble de l’échantillon (panneau supérieur) et pour la période d’avant-crise (panneau inférieur). Les résultats sont présentés séparément dans la spécification VAR parcimonieuse sans salaire réel (panneaux de gauche) et pour la spécification comprenant une équation salariale (panneaux de droite). Alors que les graphiques montrent les effets d’un choc positif de la demande de main-d’œuvre, la réponse à un choc négatif est symétrique. À des fins de présentation, les intervalles de confiance ne sont pas affichés. Les réponses du taux d’emploi et du taux d’activité sont significatives à 5% pendant environ 10 ans alors que la réponse de l’emploi est toujours significative.Note de bas de page 15

Fig. 7
 figure7

Réponses à un choc positif de la demande de main-d’œuvre spécifique à un pays. Remarque : L’axe horizontal représente des années après le choc. L’axe vertical représente les points de log. La mobilité est définie comme la variation de l’emploi non expliquée par des variations du taux d’emploi (défini comme 1 − taux de chômage) ou du taux d’activité. Source: calculs propres

Les résultats suggèrent que, comme prévu, les chocs de la demande de main-d’œuvre se traduisent principalement par une variation des taux de chômage et d’activité en fonction de l’impact. Ces effets se dissipent très lentement avec le temps. En revanche, l’effet sur la mobilité et les salaires réels est plus faible sur l’impact et s’accumule progressivement.

Sur la période 1970-2013, la taille moyenne des chocs de demande de main-d’œuvre identifiés est d’environ 1,1%. L’effet sur l’emploi est persistant et atteint un maximum après environ 4 ans, avant de tomber à une valeur durablement supérieure au niveau initial. En 1 an, le taux de chômage diminue et le taux d’activité augmente respectivement d’environ 0,5 et 0,3 point de pourcentage au-dessus de la moyenne de l’UE. L’effet du choc sur les taux de chômage et d’activité est très persistant et dure au-delà de 5 ans.

La mobilité de la main-d’œuvre augmente de 0.3% la première année et des pics après environ 10 ans. Ainsi, la première année, le taux de chômage, le taux d’activité et la mobilité de la main-d’œuvre absorbent respectivement 43, 32 et 25% du choc initial de la demande de main-d’œuvre. La proportion du choc de demande initial absorbé par l’évolution de la population augmente avec le temps.

Dans l’ensemble, par analogie avec les études précédentes, les résultats indiquent qu’à moyen terme, la grande majorité des chocs asymétriques de demande sont absorbés via un ajustement des taux d’activité relatifs et de la mobilité, les premiers étant plus réactifs dans les premières années après le choc, tandis que les seconds deviennent prédominants après quelques années.

Sur l’échantillon d’avant la crise (1970-2007), le choc moyen est estimé à peu près de taille égale mais plus persistant. En réponse au choc, au cours de la première année, le taux de chômage diminue de 0.3 points de pourcentage et le taux d’activité augmente de 0,4 point de pourcentage. Au cours de la première année, le taux de chômage et le taux d’activité absorbent respectivement environ 34 et 38% du choc de la demande de travail.Note de bas de page 16 Par rapport à l’ensemble de l’échantillon, la réponse du chômage est plus faible et plus persistante; en revanche, la réponse du taux d’activité est plus grande et plus persistante. Une différence majeure entre les deux périodes se trouve dans la réponse de la mobilité de la main-d’œuvre, qui semble moins sensible au choc d’avant la crise. Dans l’échantillon entier, la réponse est d’environ 0.5% après 5 ans, alors qu’il est inférieur à 0,4% dans l’échantillon d’avant la crise.

À long terme, l’augmentation de l’offre de main-d’œuvre par un taux d’activité plus élevé et une plus grande mobilité de la main-d’œuvre représente respectivement 40 et 60% de l’augmentation globale de l’emploi. Les chiffres pour la période d’avant-crise sont de 40 et 50%. Il apparaît également que, si pour l’ensemble de l’échantillon en moins de 8 ans, la mobilité devient la forme d’ajustement la plus importante, pour la période d’avant crise, il faut plus de 11 ans pour que la mobilité dépasse les taux d’activité comme canal d’ajustement le plus pertinent.

Les données montrent que depuis le début de la crise de 2008, la mobilité a joué un rôle plus important que par le passé dans l’ajustement des marchés du travail; en revanche, l’ajustement des taux de chômage et d’activité a été relativement de courte durée. Cela est cohérent avec l’observation selon laquelle les taux d’activité ont résisté dans l’UE depuis 2008, tandis que les effets de découragement semblent avoir été plus faibles que lors des précédents ralentissements.Note de bas de page 17

Ces résultats demeurent en grande partie inchangés lorsque les salaires réels sont inclus dans l’analyse. Pour l’ensemble de l’échantillon, les salaires réels relatifs augmentent progressivement en réponse au choc positif de la demande de travail et se stabilisent après environ 10 ans, globalement parallèlement à la stabilisation du chômage. En réponse à un choc de 1%, les salaires relatifs changent d’environ 0,5% après 10 ans. L’inclusion des salaires dans le modèle ne semble pas avoir une grande importance pour l’ajustement du taux de chômage relatif, conformément aux conclusions de Blanchard et Katz (1992) pour les États américains et de Bayoumi et al. (2006) pour les provinces canadiennes.Note de bas de page 18

Si l’on limite l’échantillon à la période d’avant-crise, la réponse des salaires réels apparaît beaucoup plus discrète. Ainsi, depuis 2008, les salaires relatifs sont devenus plus réactifs aux conditions cycliques propres à chaque pays.

L’ajustement économique dans le cadre de l’UEM est-il différent de celui d’avant? Les réponses à un choc asymétrique de la demande de main-d’œuvre ont également été calculées pour une répartition de l’échantillon qui permet de répondre à cette question: une période pré-UEM et une période UEM. La figure 8 montre que l’ajustement du marché du travail a changé pendant la période de l’UEM à plusieurs égards.

Fig. 8
 figure8

Réponses à un choc positif de la demande de main-d’œuvre spécifique à un pays. Remarque : L’axe horizontal représente des années après le choc. L’axe vertical représente les points de log. La mobilité est définie comme la variation de l’emploi non expliquée par des variations du taux d’emploi (défini comme 1 − taux de chômage) ou du taux d’activité. Source: calculs propres

Premièrement, malgré le fait que le choc moyen estimé de la demande de main-d’œuvre soit à peu près égal sur les deux périodes (1.1% dans la première période et 1,0% dans la seconde), la réponse du chômage est plus rapide et moins persistante pendant la période de l’UEM.Note de bas de page 19 Deuxièmement, le taux d’activité présente une réaction plus modérée et de courte durée au choc. Troisièmement, la mobilité de la main-d’œuvre semble réagir plus rapidement pendant la période de l’UEM, absorbant une fraction plus importante du choc que le taux d’activité à tout décalage.Note de bas de page 20 Une explication possible de cette constatation pourrait être liée au fait que les taux d’activité dans les pays de l’UE ont été davantage influencés par des facteurs structurels, notamment liés aux réformes et aux politiques facilitant la participation des femmes et des personnes âgées au marché du travail, et moins par des facteurs cycliques. En outre, la réaction plus rapide de la population en âge de travailler peut refléter davantage l’effet de l’élargissement qu’une migration des citoyens nationaux. Enfin, les salaires réels pendant la période de l’UEM semblent être plus réactifs aux chocs de la demande de main-d’œuvre spécifiques à chaque pays. Avant l’UEM, la réponse des salaires réels au choc est initialement atténuée et devient statistiquement significative après 5 ans. Dans la période post-UEM, les salaires sont significativement différents du niveau d’avant le choc après la deuxième année.Note de bas de page 21

Le tableau 3 fournit une mesure de la contribution d’un choc asymétrique de la demande de main-d’œuvre aux fluctuations cycliques de chaque variable. Par exemple, 37 % des fluctuations du taux d’activité sont attribuées à l’horizon de 5 ans à un choc de la demande de main-d’œuvre. La décomposition du chômage n’est pas signalée car, trivialement, les chocs de la demande de travail expliquent à tous les horizons la plus grande proportion des fluctuations du chômage.

Tableau 3 Décomposition de la variance : pourcentage de la variance de chaque variable expliqué par un choc de la demande de main-d’œuvre spécifique à un pays

Avant l’UEM, les chocs de la demande de main-d’œuvre représentent une part importante de la variance du taux d’activité, alors que ces chocs sont moins pertinents pour les salaires ou la mobilité de la main-d’œuvre. Après l’unification monétaire, l’importance relative des chocs de la demande de main-d’œuvre change considérablement. En 1 an, ils restent encore plus importants pour le taux d’activité que pour la mobilité de la main-d’œuvre ou la croissance des salaires réels; cependant, à moyen et à long terme, les chocs de la demande de main-d’œuvre deviennent relativement plus importants pour la variance de la mobilité de la main-d’œuvre. Ces résultats soulignent le rôle accru des salaires et de la mobilité en tant que mécanisme d’ajustement aux chocs asymétriques de la demande de main-d’œuvre.

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