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Un groupe de banquiers centraux chevronnés a récemment fait valoir qu’il n’y avait aucun danger de spirale déflationniste dans la zone euro (Hannoun et al. 2019). Ce n’est pas mon souvenir, et je ne ferais pas cette interprétation à la lumière des preuves empiriques. Par exemple, la Commission européenne dans les années 2013-14 était très préoccupée par le spectre de la déflation, et l’a également exprimé publiquement.
De son côté, en janvier 2015, la BCE a lancé un programme élargi d’achats d’actifs, car le degré d’accommodement monétaire qui prévalait à l’époque était insuffisant pour faire face de manière adéquate aux risques accrus d’une période prolongée de faible inflation. L’inflation IPCH était en effet inférieure à 1% depuis octobre 2013, et les raisons de la faible inflation, longtemps considérée comme temporaire, ont commencé à indiquer des effets de second tour avec un impact déflationniste.1
En janvier 2015, le taux d’inflation global de l’IPCH n’était négatif que de -0,6 %. De plus, les marchés évaluaient une inflation négative sur un horizon temporel de 2 à 3 ans avec une probabilité d’environ 50%. Le degré d’adaptation de la politique monétaire a été examiné et renforcé à de nombreuses reprises depuis lors. Ce n’est qu’en juin 2018 que le Conseil des gouverneurs de la BCE a pu conclure que les progrès vers un ajustement durable de l’inflation avaient été substantiels.
La menace d’une spirale déflationniste a ensuite été évitée. L’un des principaux enseignements de la politique monétaire des dix dernières années est qu’une action rapide est essentielle pour éviter la limite inférieure zéro et une période prolongée d’inflation trop basse. Nous ne voulons pas être déjà au milieu d’une spirale déflationniste à un moment où nous agissons enfin. C’est aussi l’une des leçons clés de l’expérience japonaise.
Avance rapide jusqu’au début de 2019. En raison de la dégradation rapide des perspectives, résultant notamment de l’expansion de la guerre commerciale et de l’incertitude généralisée prolongée qu’elle a créée, la normalisation de la politique monétaire entamée en juin 2018 a dû être suspendue. Les décisions de relancer la phase d’assouplissement en mars 2019 et de reprendre les achats d’actifs nets en septembre ont été prises en réponse au déficit persistant de l’inflation nominale et de l’inflation de base par rapport à notre objectif.
Cela ne signifie pas que nous fermerions les yeux sur d’éventuels effets secondaires négatifs d’une politique monétaire non conventionnelle. Aucun banquier central n’est fan des taux d’intérêt négatifs. Cependant, tant que le ralentissement synchronisé de l’économie mondiale se poursuivra, il n’y aura pas d’alternative significative aux politiques monétaires non conventionnelles si nous ne voulons pas étouffer une croissance soutenue – et il vaut mieux être prudent que désolé avant de ramener l’engrenage politique à la normalisation. Dans le même temps, tous les pays et juridictions feraient bien d’appliquer des politiques macroprudentielles efficaces pour contrer les effets secondaires négatifs d’une politique monétaire accommodante.
Comment éviter un équilibre néfaste de faible inflation et de taux bas?
Le déficit d’inflation et la baisse obstinée des anticipations d’inflation sont des défis clés pour la politique monétaire. Nous devons veiller à éviter le genre d’équilibre profondément néfaste qui pourrait découler d’une inflation prolongée faible et de taux d’intérêt nuls, car cela compromettrait considérablement l’efficacité de la politique monétaire, fixerait la croissance économique en deçà de son potentiel et entraverait les efforts visant à stimuler l’emploi.
Pour éviter cet équilibre, il faudra s’appuyer sur un ensemble d’outils de politique monétaire et d’autres outils de politique économique. Les mesures budgétaires devraient être activement poursuivies, en particulier en vue du financement des investissements publics dans les pays disposant de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire. Les réformes structurelles doivent être mises à profit pour stimuler la productivité et le potentiel de croissance de l’économie et pour réduire le chômage structurel. Dans cette division du travail, la politique monétaire doit entraîner une hausse des anticipations d’inflation et veiller à ce qu’elles restent bien ancrées dans l’objectif de stabilité des prix.
Des études récentes, telles que celles sur les expériences du Japon au cours des dernières décennies, démontrent que la baisse des anticipations d’inflation peut rester durablement bloquée à des niveaux bas. Cela peut conduire l’économie à une période prolongée de faible inflation, où la politique monétaire n’a que peu de marge de manœuvre. Pour éviter l’ancrage des anticipations à un niveau inférieur à l’objectif, les banques centrales doivent réagir suffisamment tôt et avec suffisamment de puissance pour parvenir à la convergence vers l’objectif de stabilité des prix, dans des situations où les anticipations d’inflation se sont déprimées pendant une période prolongée.
Justification d’une révision stratégique des cadres de politique monétaire
En outre, il existe également de nouvelles incertitudes provenant des tendances à long terme et des changements structurels du fonctionnement de l’économie. La faiblesse des taux d’intérêt, la faiblesse de l’inflation et la faible croissance persistante ont mis à l’épreuve nos théories économiques et nos relations empiriques passées.
Face à ces défis, de nombreuses banques centrales, dont la Réserve fédérale et la Banque du Canada, revoient actuellement leurs stratégies de politique monétaire. La Banque de Finlande plaide pour une révision de la stratégie de la BCE. Les banques centrales du Système européen de banques centrales ont également investi dans des départements de recherche actifs pour analyser les implications du nouvel environnement économique et des nouveaux instruments de politique, tant pour la conduite de la politique monétaire que pour sa modélisation.
Les discussions concernant une révision de la stratégie de politique monétaire de la BCE ont progressé au cours de l’année et un large consensus s’est dégagé concernant sa mise en œuvre. Une revue de stratégie évoquée par Christine Lagarde nous donnerait l’occasion de procéder à une évaluation scientifique approfondie de notre cadre de politique monétaire et d’évaluer son efficacité à la lumière du nouveau paysage économique et des nouveaux instruments de politique monétaire (Lagarde 2019). Cela est bienvenu car cela devrait nous permettre de mener un débat systématique, analytique et fondé sur des données probantes sur l’environnement opérationnel de la politique monétaire, sur la définition de la stabilité des prix et sur les instruments de la politique monétaire. Cela devrait se faire en interaction active avec la communauté économique et les autres sciences sociales, ainsi que dans un dialogue étroit avec la société civile dans son ensemble.
Les questions clés à aborder dans l’examen de la stratégie pourraient inclure les suivantes. Comment la période prolongée de taux d’intérêt négatifs et de faible inflation affecte-t-elle le cadre de la politique monétaire? Comment la limite inférieure effective des taux d’intérêt limitera-t-elle la marge de manœuvre de la politique monétaire à l’avenir et comment devrait-elle être prise en compte dans le cadre politique? Quelle est l’efficacité comparative de diverses mesures de politique monétaire non standard lorsque les taux d’intérêt sont proches de la limite inférieure zéro?
La révision de la stratégie, tout en s’en tenant au mandat de la BCE inscrit dans le Traité UE, pourrait clarifier à la fois la définition de la stabilité des prix et l’objectif d’inflation à moyen terme ainsi que la fonction de réaction de la politique monétaire.
La relation entre les différents domaines d’action revêt également une importance matérielle. Comment la politique monétaire est-elle conciliable avec la stabilité financière? Comment la politique budgétaire et les réformes structurelles qui soutiennent la croissance, l’emploi et la productivité pourraient-elles partager le fardeau de la politique monétaire?
La mise en œuvre réussie de l’examen de la stratégie permettrait d’approfondir les connaissances fondées sur la recherche qui sous-tendent la stratégie de politique monétaire et, par conséquent, de renforcer la compréhension commune de l’orientation de la politique au sein du Conseil des gouverneurs. Le processus de révision devrait donc contribuer à une meilleure prise de décision en matière de politique monétaire et favoriser une communication cohérente.
Lagarde, C (2019), “Déclaration d’ouverture de Christine Lagarde devant la Commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen”, 4 septembre.
Hannoun, H, O Issing, K Liebscher, H Schlesinger, J Stark et N Wellink (2019), “Mémorandum sur la politique monétaire de la BCE”, 4 octobre.
Note
Voir le Tableau de bord de l’inflation de la BCE à https://www.ecb.europa.eu/stats/macroeconomic_and_sectoral/hicp/html/inflation.en.html
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